Le temps change toute chose: il n’y aucune raison pour |
La phonétique historique, qu'est-ce ?
L'étude de l'étymologie montre comment un mot évolue dans une langue au court du temps, et cela en suivant des lois à peu près universelles (pour le groupe des langues romanes en tout cas). Les lois étudiées l'ont été pour le français, mais une analyse sommaire montre comment certaines de ces lois ont également été à l'origine du corse actuel (lire à ce sujet [41]). Le corse a beaucoup moins que le français subi de grosses modifications par rapport au latin.
Voir aussi Notions de linguistique, phonèmes, graphèmes .
Glossaire
Voici quelques termes de vocabulaire technique qu'il est indispensables de connaître pour lire des ouvrages sur la phonétique ou la phonétique historique.
Terme technique | Définition |
---|---|
oxyton |
mot accentué sur la dernière syllabe. |
paroxyton |
mot accentué sur l'avant-dernière syllabe. |
proparoxyton |
mot accentué sur la syllabe antépénultième. |
diphtongue * |
Une diphtongue se produit lorsque deux voyelles se
font |
triphtongue |
Une diphtongue se produit lorsque trois voyelles se
font |
hiatus |
Le hiatus consiste en la rencontre immédiate
de deux voyelles |
intervocalique |
placé entre deux voyelles. |
* : Il existe plusieurs définitions de la diphtongue et l'on est donc bien embêté. Certains disent qu'il n'y a plus de diphtongues en français moderne : la graphie moderne ai, au, ou, eu, oi, ... (fausses diphtongues) est une sorte de fossile de la prononciation de l'ancien français.
Le Latin
Puisque le corse est majoritairement issu du latin, intéressons-nous à cette dernière. Notamment, la place de l'accent tonique est très important puisqu'il est déterminant dans l'évolution des langues romanes.
Le Latin a 5 voyelles (a,e,i,o,u) qui peuvent être brèves ou longues (les mêmes surlignées) et trois diphtongues (toujours longues) : oe, ae et au.
Une syllabe est
fermée
si elle se termine par une consonne (la voyelle est dite entravée)
: trem dans patrem.
Une syllabe est ouverte
si elle se termine par une voyelle (la voyelle est dite libre)
: pa dans patrem.
Une syllabe est brève
si elle est ouverte et contient une voyelle brève.
Une syllabe est longue
:
- si elle est fermée,
- si elle est ouverte et contient une diphtongue,
- si elle est ouverte et contient une voyelle longue.
Le latin est une langue à accent tonique libre. Chaque mot a une syllabe accentuée (elle porte l'accent tonique):
A
- Certains monosyllabes sont accentués, d'autres, comme les prépositions
et les conjonctions, ne le sont pas. |
Donc la seule difficulté pour savoir où se situe l'accent tonique est ce dernier cas : comment être sûr que la pénultième syllabe est longue quand elle est ouverte ? C'est l'expérience qui permet de la savoir. Par contre, on sait que les infinitifs en -àre et -ìre, les participes en -àtus et les substantifs en -tàtem ont leur accent tonique sur la pénultième syllabe. Ainsi, cantàre, venìre, cantàtu, bonitàte.
Remarque : contrairement au latin, le corse possède des mots de deux syllabes et plus accentués sur la dernière ! Ils sont issus de la troncature du mot anciennement utilisé : cantare en italien ---> cantà (verbes en -à), capire en italien ---> capì = capisce (verbes en -ì), libertà (vient de libertai).
Quelques lois de mutation ... et des exemples
L'étude de l'étymologie montre comment un mot évolue dans une langue au court du temps, et cela en suivant des lois à peu près universelles (pour le groupe des langues romanes en tout cas). Ce tableau n'a rien d'exhaustif : il donne quelques idées du pourquoi et du comment de l'évolution des langues.
Exemples :
Latin | Français | Exemples : Du latin au français | Et en corse ? | |||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Latin | --> |
Ancien fr. |
--> | Fr. moderne | ||||
Les Voyelles | ||||||||
c(a) en début de mot |
ch |
capra |
--> | [k'abra] |
--> |
chèvre |
capra [k'abra] |
|
|
capillus |
--> | --> |
cheveu |
capellu [kab'ɛllu] |
|||
a accentué |
é / è |
capra |
--> | [k'abra] |
--> |
chèvre |
capra [k'abra] |
|
|
patrem |
--> | --> |
père |
|
|||
|
riparia |
--> | --> |
rivière |
|
|||
Les Consonnes |
||||||||
b intervocalique |
v |
caballus |
--> | --> | cheval |
cavallu [kaw'allu] |
||
|
faba |
--> | [f'ava] |
--> | fève |
fava [f'awa] |
||
|
rien |
nuba |
--> | [n'uwa] |
--> | nue |
u babbu [u w'abbu] |
|
br intervocalique |
vr |
labra |
--> | [l'avra] |
--> | lèvre |
labbru / labru [l'abru] |
|
c intervocalique |
g --> rien |
securu |
--> | [s'eguru] |
--> | sûr |
sicuru [sig'uru] |
|
d intervocalique |
rien |
fide |
--> | --> | foi |
fede [f'ɛðɛ] |
||
dr intervocalique |
rien |
|
|
|
||||
p intervocalique |
v |
capillus |
--> | --> | cheveu |
capellu [kab'ɛllu] |
||
|
ripa |
--> | [r'iba] |
--> | rive |
ripa [r'iba] |
||
|
sapone |
--> | --> | savon |
savone [saw'ɔ̃nɛ] |
|||
pr intervocalique |
vr |
capra |
--> | [k'abra] |
--> | chèvre |
capra [k'abra] |
|
s intervocalique |
z |
pesare |
--> |
[pez'are]*
|
--> | peser |
pisà [piz'a] |
|
t intervocalique*** |
d --> rien |
vita |
--> | [v'ida] |
--> | vie |
vita [v'ida] |
|
tr intervocalique |
dr --> rien |
patrem |
--> | [p'adre] |
--> | père |
|
|
|
petra |
--> | [p'edra] |
--> | pierre |
petra [p'edra] |
||
v intervocalique |
w |
lavare |
--> | [law'are] |
--> | laver |
lavà [law'a] |
|
|
rien |
pavore |
--> | [paw'ɔre] |
--> | peur |
avanzà [awants'a] |
|
r change de place** |
r |
formaticum |
--> | [form'aʒ] |
--> | fromage |
furmagliu |
|
|
berbicem |
--> | [b'ɛrbis] |
--> | brebis |
|||
|
turbulare |
--> | --> | troubler |
Ces exemples montrent que le corse reproduit, mais de manière dynamique (les consonnes concernées ont deux réalisations), ces mutations qui sont statiques ailleurs (la mutation s'est ou ne s'est pas produite, mais de manière définitive).
* : Le s
est déjà sonorisé en latin à la fin de IVème
siècle.
**
: C'est le phénomène de métathèse qui ne concerne
d'ailleurs pas que le r. Notez par exemple la tendance actuelle
: beaucoup disent infractus au lieu de infarctus.
Voir
Texte de comparaison
corse/italien et métathèse
.
***
: Extrait de [42] p.128.
"Il
faut tout d'abord se rappeler que le -t- du latin placé entre deux voyelles
n'est plus présent, pas même sous une forme modifiée, dans
les mots de la langue française, alors qu'il a survécu dans les
langues du Midi en se changeant en -d- : à partir de seta
latin, le -t- laissé aucune trace dans soie en
français, mais le mot a évolué en sedo
en provençal. De même, amata
latin a abouti à aimée en français
et à amado en provençal. Comme on sait
en outre que le suffixe -ade vient du latin -ata, on est donc
fortement tenté d'attribuer aux variétés occitanes l'origine
de tous les mots français en -ade. Or d'autres langues romanes
ont aussi vu évoluer le -t- intervocalique du latin en -t-, par exemple
l'espagnol et le portugais, ainsi que les parlers de l'Italie du Nord [et du
corse du nord - note personnelle]."
Sur ce point précis, il faut noter que ce qui distingue le corse (du
nord puisque dans le sud le -t- ne mute pas) des autres langues
romanes nationales, c'est que le -t- en position faible mute
dynamiquement en -d-. Amata
qui veut dire aimée se dira [am'ada]
au nord et [am'ata] au sud : dans ce cas, la mutation
n'est pas dynamique puisque ce mot se prononce toujours pareil au nord (on pourrait
ici presque l'écrire amada
... si le -d- intervocalique ne mutait pas lui aussi !) et
toujours pareil au sud. Par contre (et c'est là l'aspect dynamique dont
je parlais), au nord on dit 'un trenu'
['un tr'ɛ̃nu]
mais '
u
trenu
' [udr'ɛ̃nu]. Pour
conserver une certaine unité de l'écriture de la langue corse,
il est heureux que l'on ait gardé amata
pour tout le monde (il y a déjà suffisament d'écarts pour
ne pas en rajouter). La connaissance des
règles
de mutation consonantique
suffit à lire correctement.
Notons également que le -d- intervocalique ne se prononce
pas en corse du nord : Madonna
[ma'ɔnna] (en corse du sud
[mad'ɔnna]
). Ce phénomène
est le même que celui qui a fait passer le seta
latin à sedo (-t-
devient -d-) puis à soie
(-d- disparait).